Gouverner la science : anatomie d’une réforme

Résumé court

Joël Laillier and Christian Topalov analyze the reforms in higher education and their impact on the positions and dispositions of key actors in France over the past 20 years.

Résumé long

Joël Laillier and Christian Topalov examine the changes in higher education in France from 2004 to 2020, focusing on the key actors who have held leadership positions. They identify four major stages of reform and discuss the resulting increase in autonomy for universities, emphasis on excellence in evaluation, project-based funding, industry-focused education, and the transformation of research into innovation. The authors provide a prosopographical analysis of these actors to understand their backgrounds and the networks they belong to. While the book offers new empirical insights, the authors do not establish a clear link between the profiles of actors and the direction of reforms.

Source

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https://doi-org.ezproxy.u-bordeaux-montaigne.fr/10.3917/gap.232.0161

Concepts

leadership

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autonomy

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excellence

Présent dans 2 fragments

evaluation

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funding

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industry

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research

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innovation

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prosopographical analysis

Présent dans 1 fragment

networks

Présent dans 1 fragment

Réformes

Présent dans 3 fragments

enseignement supérieur

Présent dans 2 fragments

Texte complet

Joël Laillier, Christian Topalov (2022)
Gouverner la science : anatomie d’une réforme (2004-2020)

Les réformes de l’enseignement supérieur ont nourri de nombreux ouvrages de recherche. Joël Laillier et Christian Topalov poursuivent cette veine et la renouvellent en proposant d’étudier celles et ceux qui ont occupé des postes de direction dans ce secteur en France, au cours des vingt dernières années. Dès les premières pages, les auteurs affichent leur position sur les récentes évolutions et leur profond désaccord avec les orientations prises. Les deux premiers chapitres retracent ces réformes, ce qui permet aux auteurs d’identifier quatre grandes étapes : la création entre 2004 et 2007 des outils (avec notamment l’Agence nationale de la recherche, [ANR] ; l’Agence d’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche [AERES] devenue depuis Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur [HCERES], ou la Loi relative à la liberté et responsabilités des universités [LRU]), le « big bang » à partir de l’arrivée de Valérie Pécresse à la tête du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2007-2011), une période de consolidation des réformes engagées (2011-2017) puis leur « radicalisation » (sic) depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Ils en exposent ensuite le contenu et avancent que la mise en scène des problèmes de l’enseignement supérieur et de la recherche a conduit à imposer l’accroissement de l’autonomie des universités, la promotion d’une évaluation centrée sur l’excellence, le financement sur projets, la conception d’enseignements dédiés aux entreprises, et la transformation de la recherche en innovation. Sans engager de discussion sur cette partie que les auteurs présentent eux-mêmes comme leur lecture de presque deux décennies de réformes, je me contenterai de regretter qu’ils aient tendance à omettre certaines données. Ainsi, et pour ne prendre qu’un seul exemple, ils mettent en avant – à juste titre – le fait que la loi Pécresse a accru le pouvoir de décision des présidents d’université sur certains domaines et a consolidé leur majorité dans les instances en introduisant la règle de la prime majoritaire. Mais ils passent sous silence le fait que la loi Fioraso a supprimé cette dernière règle dès 2013 et qu’elle a aussi réduit les capacités d’intervention présidentielle (par exemple sur les recrutements).

L’apport scientifique de l’ouvrage se trouve donc plutôt dans les cinq chapitres suivants (3 à 7) que je vais aborder, en respectant au plus près le souhait exprimé par les auteurs au début de l’ouvrage quand ils écrivent que : « des lecteurs qui ne partagent pas nos convictions pourront, nous l’espérons, considérer nos résultats comme valides, ou du moins, les discuter comme on discute tout travail scientifique, par une critique interne et externe de nos catégories d’analyse et procédures empiriques » (p. 8).

Dans ces cinq chapitres, les conclusions reposent systématiquement sur une étude de type prosopographique pour laquelle Joël Laillier et Christian Topalov ont collecté une somme impressionnante d’informations sur les trajectoires et la socialisation des personnes observées, afin d’identifier les caractéristiques de celles et ceux qui constituent la « nébuleuse réformatrice [1]» de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Les chapitres 3 et 4 sont respectivement consacrés aux « états-majors ministériels » (membres du cabinet, directeurs et directrices de l’administration centrale, mais aussi conseillers du président de la République) et à ceux et celles, parfois les mêmes, qui ont occupé des postes de direction à l’ANR ou à l’AERES. Les auteurs mettent en évidence des résultats parfois assez attendus (la politisation des cabinets) et d’autres moins évidents et donc plus intéressants. Ainsi les dirigeants de l’ANR sont-ils essentiellement des « ingénieurs des grands corps engagés dans la recherche industrielle » (p. 136), tandis que ceux de l’AERES, qualifiés d’« administrateurs universitaires » (p. 148), viennent plutôt des équipes présidentielles des universités et sont souvent passés par la direction générale de l’Enseignement supérieur. En revanche, les chercheurs CNRS sont de moins en moins nombreux tant à la tête de la direction générale de la Recherche et de la Technologie du ministère que dans les agences.

Le chapitre suivant reprend très largement l’article déjà publié par les auteurs sur l’évaluation des sciences sociales et humaines en France, paru en 2017 dans Sociologie, et porte, d’un côté, sur des acteurs de l’ANR, de l’AERES, et, de l’autre, sur des membres du Conseil national de la recherche scientifique (CoNRS), qui comprend notamment les sections qui gèrent les carrières des chercheurs, et du Conseil national des universités (CNU), qui intervient au niveau national sur certains aspects des carrières universitaires. Il présente malheureusement certains problèmes méthodologiques puisque les auteurs comparent, de leur aveu même p. 169, des populations qui n’ont pas les mêmes fonctions (ils « choisissent les rapporteurs et veillent au respect des procédures, mais la similitude des fonctions s’arrête là »). Leur objectif est de montrer que les profils des membres de chaque groupe sont différents. À l’AERES et à l’ANR, on trouve plutôt d’anciens responsables d’établissement d’enseignement ou de recherche tandis qu’au CNU et au CoNRS, les carrières scientifiques prédominent. Je ne remets bien sûr pas en cause cette différence morphologique – ni l’intérêt qu’il y a à connaître les profils des acteurs dans les agences – mais je questionne la pertinence d’une comparaison menée sur des personnes occupant des fonctions différentes, les uns organisant les évaluations et les autres les réalisant. Celle qui aurait été fondée, mais qui est malheureusement quasi impossible à conduire car les bases de données des évaluateurs mobilisés par l’ANR et l’AERES sont trop mal renseignées pour être exploitées, aurait consisté à comparer les évaluateurs des sections CNU et CoNRS et les évaluateurs des agences. Des acteurs qui exercent la même activité.

Joël Laillier et Christian Topalov s’intéressent ensuite aux présidents d’université. Leurs conclusions sur la transformation de la fonction et sa professionnalisation ont déjà été souvent constatées et démontrées par d’autres travaux mais ils avancent aussi des données nouvelles, comme la comparaison des durées de mandats (de plus en plus longues), l’évolution du devenir des présidents (moins de retours dans leurs unités de base), les différences de trajectoires entre les régions et la région parisienne (des notables dans le premier cas versus des « envoyés du ministère » (p. 232) dans les initiatives d’excellence [IDEX] franciliennes), données que l’on connaissait pour la période 1971-2007 grâce à la thèse d’Étienne Bordes (2021) mais qui n’avaient pas été étudiées pour la période plus récente [2]. Plus contestable méthodologiquement est en revanche la constitution de cohortes de dirigeants de la CPU (celle de 2006 et celle de 2012) car on ne comprend pas à quoi correspond le bornage temporel choisi (les présidents élus entre 2006 et 2010, pour la première, et ceux élus entre 2012 et 2016, pour la seconde), ni en quoi chaque cohorte constitue effectivement un groupe. Par ailleurs, la figure (p. 244 et 245) représentant les appartenances des dirigeants de la CPU aux institutions de l’ESR selon la période de leur mandat (1998-2018) est pour le moins sous-utilisée dans le texte par les auteurs alors qu’elle aurait mérité des commentaires plus explicites. Sa lisibilité en noir et blanc et sur deux pages est sous-optimale et il faut de plus se reporter à l’annexe 3 pour comprendre (ou plutôt découvrir) les étiquettes utilisées. La réalisation de ce réseau a probablement demandé beaucoup d’efforts mais on ne voit pas bien ce qu’il apporte de plus que les trajectoires rapportées dans le chapitre.

Dans le chapitre 7, Joël Laillier et Christian Topalov déploient une typologie des profils dirigeants présentés dans les chapitres précédents. Les auteurs expliquent le principe de sélection – méthodologiquement très solide – des 406 individus étudiés, soit 3 % de la base de départ. Ils distinguent alors six catégories : les ingénieurs de la R&D et cadres administratifs ; les administrateurs notabilisés de la recherche ; les administrateurs notabilisés de l’université ; les scientifiques distingués ; les petits patrons scientifiques ; les cadres scientifiques ordinaires. Chaque catégorie est associée aux lieux de prise de décision fréquentés par ces dirigeants, ce qui conduit inévitablement à quelques répétitions avec les chapitres précédents notamment dans la dernière partie du chapitre qui croise type de dirigeants et « distribution du pouvoir dans la réforme ».

Un dernier chapitre, d’une autre nature, clôt l’ouvrage. Les auteurs mettent en catégorie les travaux sur l’enseignement supérieur et opposent, selon les termes qu’ils utilisent, une « sociologie experte » et une « sociologie critique ». Mes propres recherches et celles de plusieurs de mes collègues sont rattachées à la première. Outre quelques erreurs factuelles concernant les biographies des uns et des autres, on peut regretter que Joël Laillier et Christian Topalov contestent la véracité des résultats de ce qu’ils appellent la « sociologie experte » parce qu’ils ne leur semblent pas suffisamment condamner les réformes, au lieu d’entrer dans une discussion véritablement critique et scientifique qui mettrait en question la solidité de ces résultats, les méthodes qui ont permis de les produire, la robustesse de l’administration de la preuve ou la validité de l’appareil théorique et des interprétations.

Si l’on prend au sérieux ces critères de la qualité scientifique, il est clair, à la lecture des paragraphes qui précèdent, que la méthode prosopographique que suivent les auteurs dans cet ouvrage produit des connaissances nouvelles et intéressantes qui permettent d’identifier les positions et dispositions des acteurs qui ont participé aux réformes menées depuis le milieu des années 2000. En revanche, pour ce qui est de l’administration de la preuve et des interprétations, l’exercice est bien moins réussi. Joël Laillier et Christian Topalov ne démontrent en effet jamais qu’il y a un lien entre le contenu des réformes et les positions et dispositions des acteurs. Contrairement à ce qu’ils écrivent p. 316, ils ne démontrent pas que les profils des personnes en place « les prédisposent à épouser et promouvoir activement les objectifs de la réforme ». Ils disent que c’est ce qu’il se passe mais ils n’en fournissent jamais la preuve et ne le montrent pas.

Cela tient, d’une part, au fait que les données biographiques livrées quasi in extenso au fil des pages restent souvent à l’état brut alors qu’elles auraient mérité d’être plus finement exploitées pour faire preuve. Ainsi, pourquoi la très succincte exploitation chiffrée de ces données est-elle reléguée en annexes, selon une mise en catégorie non explicitée dans l’ouvrage et sans le moindre traitement supplémentaire de ces informations ? Les auteurs ont manifestement laissé à d’autres le soin de mener une analyse de séquences qui aurait permis à la fois de rendre plus digestes des pages qui alignent des successions de CV et d’en tirer des conclusions plus analytiques.

Mais cela tient, d’autre part et surtout, à ce qu’ils s’inscrivent dans une perspective théorique élitiste (mentionnée explicitement pour la première fois dans les deux premières pages du dernier chapitre !) mais ne tiennent qu’un bout de ce qui fait la force de cette approche. Montrer le pouvoir d’une élite ne peut se réduire à exhiber les trajectoires de ses membres ou leurs positions. Il faut aussi montrer ce qu’ils font et comment ils le font, à la manière des travaux pionniers de Floyd Hunter sur la gestion de la ville d’Atlanta [3], ou plus récemment, de ceux de Patrick Hassenteufel et William Genieys qui accordent toute leur importance aux trajectoires des « élites programmatiques » mais montrent aussi en quoi et comment elles influencent les politiques publiques dont ils sont les porteurs [4]. Curieusement, les auteurs écrivent se situer dans la tradition de Jacques Lagroye (p. 318) et donc considérer comme lui que les institutions sont « les produits des pratiques des agents ». Pourtant, ils ne disent rien dans leur ouvrage de ces pratiques. Or, sans cela, que peut-on induire du fait que des acteurs circulent dans les mêmes espaces (effets de position) et partagent des caractéristiques communes (dispositions) ? Que peut-on déduire (et, par voie de conséquence, apprendre) si on se contente d’observer la forte présence des ingénieurs à l’ANR comme le font les deux auteurs ? Ils semblent en inférer que cela aurait favorisé la recherche industrielle (p. 142) mais quelles preuves empiriques nous en fournissent-ils ? Aucune. Quelle incidence cela a-t-il sur le fonctionnement concret de l’agence, sur les orientations qu’elle prend, sur les projets qu’elle finance, sur les pairs qu’elle sollicite pour les avis ? On ne le sait pas. Même question sur les dirigeants de l’AERES, les acteurs ministériels ou les présidents d’université. Cela n’est ni expliqué ni démontré. Le fait de partager une formation, d’avoir occupé des espaces de travail communs suffit-il à déterminer des comportements ? Autrement dit, peut-on inférer des pratiques (et alors lesquelles ?) à partir de données prosopographiques ? Et peut-on, même si on répond positivement à la question précédente, exposer ces données sans décrire ces pratiques ?

L’ouvrage produit donc des résultats empiriques inédits mais sa capacité analytique et sa force démonstrative restent limitées car les auteurs ne montrent ni en quoi les dispositions et les trajectoires des individus étudiés ont pesé sur les orientations des réformes, ni en quoi cela affecte le contenu des activités et des décisions prises dans les agences et les directions qu’ils dirigent.

Notes
[1]
C. Topalov (dir.) (1999), Laboratoires du nouveau siècle : la nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, Éditions de l’EHESS.
[2]
É. Bordes (2021), « La conférence des présidents d’université (1971-2007) : une socio histoire du gouvernement des universités », thèse d’histoire, Toulouse, Université Toulouse-Jean Jaurès.
[3]
F. Hunter (1953), Community Power Structure: A Study of Decision Makers, Chapel Hill (N. C.), University of North Carolina Press.
[4]
P. Hassenteufel, W. Genieys (2021), « The Programmatic Action Framework: An Empirical Assessment », European Policy Analysis, 7 (S1), p. 28-47.

Réponse de ChatGPT

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