En finir avec le couple politique-administratif

Résumé court

Repenser l'organisation des équipes présidentielles des universités françaises pour mettre fin à la dichotomie entre administratif et politique.

Résumé long

Cet article propose de repenser l'organisation des équipes présidentielles des universités françaises pour mettre fin à la dichotomie entre administratif et politique. Il souligne que cette distinction n'est pas comprise de la même manière à l'étranger et présente les dysfonctionnements causés par cette séparation des responsabilités. Deux réformes simples sont proposées : réduire le nombre de politiques et redéfinir la répartition des fonctions et métiers. Ces réformes permettraient une meilleure coordination et une plus grande cohérence de pilotage.

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https://www-cairn-info.ezproxy.u-bordeaux-montaigne.fr/propositions-d-une-chercheuse-pour-l-universite--9782724625103-page-107.htm

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Texte complet

Comparées à beaucoup de leurs homologues à l’étranger, les équipes présidentielles des universités françaises sont pléthoriques. Le nombre de vice-présidents et de chargés de mission qu’elles rassemblent est impressionnant. Chacun d’entre eux a la charge d’un domaine, dont la gestion se voit doublée, pour la partie administrative, d’un service ou d’une direction au sein des services centraux. Ne serait-il pas pertinent de repenser ce mode d’organisation pour en finir avec la sempiternelle, et bien française, dichotomie entre administratif et politique ?

Constats et diagnostic
2Quand on s’entretient avec les membres d’une université française, la distinction entre le « politique » et l’« administratif » revient comme un leitmotiv dans leurs propos, souvent accompagnée d’une explication de texte : « Le politique définit les orientations, l’administratif les met en œuvre. » Voilà qui a le mérite d’être clair. Et si l’on ajoute que le terme politique désigne ce qui relève du président, des vice-présidents et autres chargés de mission – c’est-à-dire de l’exécutif issu d’élections – et que celui d’administratif renvoie aux activités couvertes par le directeur général des services (DGS*) et ses directions, tout devient limpide. D’autant qu’il n’est pas rare que la description soit assortie d’un parallèle entre universités et collectivités locales – elles aussi construites sur cette dichotomie [1], comme si les universités ne pouvaient que s’aligner sur le modèle communal.

Une fausse évidence
3Cette belle évidence s’évanouit dès que l’on tente de décrire la répartition française des rôles auprès d’homologues étrangers, par exemple lors d’une conférence internationale. Dès que l’on commence à utiliser les termes de politics ou political actors pour désigner les dirigeants élus, et d’administrative leaders pour les directeurs des services administratifs, l’auditoire cesse de suivre. Pour la très grande majorité des universitaires étrangers, la vice-présidente, le président, la DGS* et les doyens sont tous des leaders (ils emploient même parfois le terme d’administrators), qu’ils soient académiques ou pas, qu’ils soient élus ou nommés : la fonction qu’ils exercent l’emporte sur la manière dont ils ont été désignés (et cela, encore plus s’ils ont été nommés et non pas élus). Un universitaire qui prend ce type de poste bascule du côté de ceux qui administrent, et la distinction française n’est pas seulement intraduisible, elle n’a surtout aucun sens.

Un jeu dysfonctionnel
4La situation est par ailleurs beaucoup moins simple qu’il n’y paraît. Contrairement à ce que laisse supposer le diptyque administratif/politique, le jeu n’est pas bipartite, mais tripartite. Comme l’a très bien décrit Theodore Caplow (Caplow, 1968), dans un livre intitulé Two Against One. Coalitions in Triad, les relations ne deviennent intéressantes que si l’on est au moins trois, car alliances et conflits peuvent alors commencer à se développer. C’est bien ce qui se joue dans les universités françaises, entre la vice-présidente (une « politique ») chargée d’un domaine spécifique par le président (un « politique ») et le directeur de service central en charge du même domaine (un « administratif »), qui est par ailleurs sous la responsabilité d’une DGS* (sa supérieure, elle aussi « administrative » et troisième élément du trio).

5Qu’avons-nous observé dans les différentes enquêtes ? Deux grandes configurations se dessinent. Dans la première, la vice-présidente et le directeur de service s’entendent très bien, mais cela n’est pas du goût de la DGS*, qui estime que c’est à elle de fixer à son subordonné les orientations à suivre et les actions à mener, notamment quand il s’agit du budget ou des ressources humaines. Parfois, ce n’est pas non plus du goût du président, qui pense que le couple vice-présidente/directeur prend trop d’autonomie et qu’il ne peut plus contrôler le développement du secteur placé sous leur responsabilité. Dans la seconde configuration, le directeur ne partage pas les orientations de la vice-présidente et fait alliance avec la DGS* pour intervenir dans le domaine concerné. Cela se traduit par une relation conflictuelle avec la vice-présidente, qui se sent alors dans l’impossibilité d’agir et adopte le plus souvent un comportement de retrait, parfois de résistance ou d’opposition.

6Le nombre de vice-présidents et de chargés de mission étant souvent élevé et les services centraux étant par ailleurs très divers, il est fréquent qu’un même directeur couvre un domaine rattaché à plusieurs vice-présidents ou, inversement, qu’une vice-présidente ait plusieurs directions de services centraux comme interlocuteurs. Cela ne fait que multiplier les possibilités de jeux, de défections, d’alliances autour des deux grandes configurations que je viens de décrire.

7À la réflexion, la séparation des responsabilités entre un administratif qui dirige un service dédié et une vice-présidente censée définir la stratégie du domaine concerné traduit un manque de confiance réciproque. Les personnels des services centraux considèrent que les universitaires sont incapables de toute gestion, tandis que les universitaires estiment que les personnels administratifs ne peuvent pas comprendre leurs problèmes et ignorent ce qui est important pour eux. Cette défiance réciproque explique la pléthore de vice-présidents et de chargés de mission dont s’entoure bien souvent le président afin de s’assurer d’un double pilotage, politique et administratif, de toutes les dimensions de l’établissement : recherche et formation bien entendu, mais aussi finances, ressources humaines, international, numérique, vie étudiante, etc.

8Cette armée mexicaine, qui doit interagir avec les services du DGS*, accapare ceux qui occupent les fonctions politiques auprès du président, crée des tensions avec les services centraux ou en leur sein. Cela multiplie les occasions d’interactions avec le président d’un côté et le DGS* de l’autre. L’établissement se trouve de facto découpé en de multiples silos de responsabilités dont la coordination s’avère complexe.

Propositions
9Deux réformes simples pourraient transformer la gouvernance de nos universités sans nécessiter de grandes modifications statutaires.

Réduire le nombre des « politiques »
10Une première réforme consisterait à cesser de nommer autant de politiques que de domaines de décision et, par là-même, à rompre avec un mode de pilotage à la fois bicéphale et en silos. Concrètement, cela se traduirait par la réduction du nombre de vice-présidents ou de chargés de mission, pour faire en sorte que chaque établissement n’en possède pas plus de quatre : un vice-président qui couvre les questions de formation, une autre qui a en charge la recherche et l’innovation, éventuellement un ou deux vice-présidents pour des compétences transversales comme l’international ou le numérique. L’équipe présidentielle serait alors composée d’un président, de deux à quatre vice-présidents, du DGS* et de quatre à six doyens (chapitre 7).

Redéfinir la répartition entre fonctions et métiers
11En corollaire de cette première mesure, il conviendrait de distinguer directions fonctionnelles et directions métiers. Autrement dit, le rôle du DGS* devrait être repensé afin qu’il assure la responsabilité de l’ensemble des fonctions support et soit déchargé des fonctions métiers, ces dernières étant désormais confiées aux seuls vice-présidents métiers. Ainsi, la scolarité et les études seraient placées sous la houlette du vice-président formation, qui serait en même temps directeur de ces services. La vice-présidente recherche ferait de même pour le service de la recherche et la vice-présidente international, pour le service dédié à ce secteur. En cumulant les fonctions de vice-présidents et de directeurs, les vice-présidents métier auraient à la fois la charge (politique) de définir la stratégie de leur secteur en accord avec le reste de l’équipe présidentielle, les instances et les autres partenaires concernés, et la charge (administrative) de lancer et de suivre la mise en œuvre opérationnelle de cette stratégie au sein de leur direction. Ils seraient ainsi responsables à part entière de leur secteur et en capacité de maîtriser la conception de leur politique métier comme son opérationnalisation. Ils deviendraient les interlocuteurs naturels et directs de la DGS* pour la préparation, l’utilisation, la modification du budget (y compris la masse salariale) qui leur serait affecté, après une négociation menée au sein du bureau [2] hebdomadaire de la présidence.

12Il va de soi que la redéfinition de la mission de vice-président doit s’accompagner, comme pour les doyens (chapitre 7), d’une professionnalisation de la fonction et que cette dernière doit être exercée à plein temps, ou quasi-plein temps. C’est à ce prix que nous sortirions enfin de l’artificielle dichotomie entre le politique et l’administratif, au profit d’une répartition des rôles qui laisserait les fonctions métiers à ceux et à celles qui ont une connaissance de ces activités, et les attributions fonctionnelles au directeur général des services (DGS*) et à ses équipes. L’établissement y gagnerait à coup sûr en cohérence de pilotage. Comme on le verra à propose de la démocratie universitaire (chapitre 8), un exécutif resserré pourrait être contrebalancé par des instances auxquelles serait reconnue une plus grande capacité de contrôle.

Notes
[1]
À ceci près, et ce qu’oublient toujours mes interlocuteurs, que les villes ont certes des services administratifs mais pas de sous-structures internes équivalentes aux UFR*, sauf les quelques grandes villes qui possèdent des arrondissements.
[2]
Nom donné à la réunion, généralement hebdomadaire, à laquelle le président réunit sa garde rapprochée : le DGS* et les principaux vice-présidents généralement.

Réponse de ChatGPT

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